La place de Diderot dans l’enseignement, les programmes et les manuels représente une question complexe. L’histoire des présences ou des absences de notre auteur dans l’institution scolaire est en effet riche de rebondissements nous rappelant que, à plusieurs titres, Diderot n’est pas ou n’a pas été considéré comme un auteur comme les autres. 

Si l’histoire littéraire a depuis longtemps accordé une place significative à Diderot, de même que les programmes de l’enseignement scolaire du français, on se souvient que, dans leur importante anthologie, Lagarde et Michard (qui furent professeurs de lettres supérieurs puis inspecteurs généraux de l’Éducation Nationale) consacrent à Diderot bien moins de pages qu’à Voltaire et Rousseau, avec une présentation pour le moins orientée (Textes et littérature : les grand auteurs français du programme, Bordas, t. IV sur le XVIIIe siècle, 1953). Comme l’ont montré Jean-François Halté et André Petitjean (« Pour une théorie de l’idéologie d’un manuel scolaire. Le Lagarde et Michard : le cas Diderot », Pratiques, n°1-2, 1974, p. 43-64), outre les biais méthodologiques des concepteurs du manuel, la présentation de Diderot relève de choix idéologiques plus ou moins assumés. Par exemple, au lieu de se pencher sur le sens spécifique de la sensibilité chez Diderot et sa portée matérialiste, Lagarde et Michard préfèrent la rapporter à un tempérament, à une époque, et selon une tendance qui annoncerait le romantisme. Ce cas, parmi d’autres, rappelle que faire une place à Diderot, alors que d’autres auteurs sont oubliés, revient à déterminer cette place et, parfois, à l’aménager pour désamorcer ce qui est jugé subversif. 

Du côté de la philosophie, celui que ses contemporains appelaient « le Philosophe » a pendant longtemps été oublié ou refoulé. Dès la fin du XVIIIe siècle, à une époque où son matérialisme lui vaut d’être condamné au profit d’un Rousseau ou d’un Voltaire, la présence de notre auteur dans les nouvelles institutions scolaires et universitaires reste sourde. Ainsi, comme l’a montré Caroline Warman (The Atheist’s Bible. Diderot and the Eléments de physiologie, Cambridge, Open Book Publishers, 2020), si le manuscrit des Éléments de physiologie est utilisé dans leurs cours par Garat (à l’École Normale) ou Destutt de Tracy et Cabanis (à l’Institut), c’est d’une manière détournée, sans mention explicite de Diderot. Pour la période contemporaine, on constate que Diderot ne fait son entrée parmi les auteurs du programme de terminale qu’en 2003 – et déjà dans les propositions de programme des années 2000-2003. Il n’est sans doute pas surprenant que, pendant le XIXe siècle, l’enseignement de la philosophie structuré selon les principes de Victor Cousin ne fasse guère de place à Diderot, absent de la liste des auteurs accompagnant le programme officiel. Mais cette absence reste frappante lorsqu’on voit que, dans le programme de 1902, figurent les noms de Hume, Condillac, Montesquieu et Rousseau, mais toujours pas celui de Diderot ! C’est d’autant plus significatif que, autour du centenaire de la mort du philosophe en 1884, une tradition philosophico-savante intéressée par le matérialisme et l’empirisme, souvent marquée par le positivisme, avait promu la figure de Diderot. Si l’on fait alors souvent de notre auteur un précurseur de Lamarck, de Darwin ou de la médecine contemporaine, voire, comme E.-M. Caro (« Diderot inédit, d’après les manuscrits de l’Ermitage », première partie : « L’idée du transformisme chez Diderot », Revue des Deux Mondes, 3e période, tome 35, 1879, p. 825-860), un penseur aux théories « prophétiques », il reste en retrait des programmes philosophiques.    

Ces quelques jalons suggèrent que les présences et absences de Diderot dans l’institution scolaire et les ressources qui l’accompagnent constituent un chantier intéressant, auquel cette rubrique voudrait contribuer en recoupant des textes et des références vers les travaux sur le sujet.

(François Pépin).

La Société Diderot réfléchit actuellement à la constitution d’une enquête sur « La place de Diderot dans les manuels scolaires », qu’il s’agisse des manuels de littérature comme des manuels de philosophie. Elle invite toutes celles et tous ceux (professeur.e.s de lettres et de philosophie du secondaire, étudiant.e.s, inspecteur et inspectrices pédagogiques, universitaires et chercheurs) à y participer.

À suivre !