Samuel Richardson, Pamela ou la Vertu récompensée, éd. Shelly Charles
Samuel Richardson, Pamela ou la Vertu récompensée, éd. Shelly Charles, Garnier, « Classiques Jaunes. Textes du monde », 2022
En 2018, Shelly Charles a fait paraître chez Classiques Garnier une édition de Pamela ou la Vertu récompensée, de Samuel Richardson, republiée en poche en 2022 dans la collection « Classiques Jaunes ». Cette édition s’insérait dans un diptyque en miroir d’une monographie, Pamela ou les vertus du roman : d’une poétique à sa réception (Garnier, 2018). L’édition ainsi offerte de Pamela propose le texte entier de Pamela I, dans la traduction habituellement attribuée à Prévost.
L’introduction qui précède le texte est extrêmement riche et érudite. Elle revient d’abord sur le nouvel objet littéraire offert par Richardson avec sa Pamela, « le premier vrai roman », selon Ian Watt dont la citation ouvre l’introduction (p. 7), l’« acte de naissance du roman comme “genre anglais” » (p. 9), pour Shelly Charles, dont les questionnements et le renouvellement du genre qu’il offre le placent en équivalent anglais de La Princesse de Clèves. Toutefois, les nombreuses reprises du roman et les discours sur celui-ci ont tendu à en déformer la réception, de sorte que l’édition se donne pour tâche de « redonner au lecteur français, pour la première fois depuis 1823, un texte qui constitue une étape essentielle de sa propre histoire littéraire et de lui fournir les moyens de comprendre les raisons profondes d’une vogue, mais aussi de ce qu’on peut bien considérer comme une révolution » (p. 9). La suite de l’introduction s’intéresse à la réception immédiate de Pamela en Angleterre et en Europe, à ses éditions successives, à sa suite par Richardson, à ses reprises sérieuses et comiques, à ses réexploitations intermédiales – théâtre et peinture. C’est aussi l’occasion pour l’éditrice de revenir sur le débat critique suscité par l’œuvre, oscillant entre l’exaltation de sa moralité et la condamnation de son hypocrisie. Shelly Charles explique l’acuité de ce débat par la force d’émotion suscitée par la lecture du texte, un texte fondé sur un réalisme déconcertant, raconté par une narratrice simultanée en proie à ses émotions, la même qui séduira son maître précisément par sa prose. Shelly Charles rappelle ensuite qui est Samuel Richardson et la genèse du texte, pensé au départ comme manuel destiné à « “éviter les pièges qui peuvent être tendus à [la] vertu » des gens de la campagne, futurs lecteurs (p. 19), inspiré d’un fait divers. Le succès du roman dès lors provient largement de ces effets de réel qui laissent chaque lecteur reconnaître dans les aventures de Pamela une situation quotidienne, aiguisé par cette plume d’épistolière dont on suit les états d’âme, ponctués de contradictions et de tâtonnements, états d’âme qui souvent s’ignorent et que le lecteur est invité à décrypter dans le texte. De manière plus large, l’enjeu du roman doit aussi être lu dans une perspective politique, Pamelaet le roman éponyme incarnant « une figure de l’Angleterre et de son combat contre l’hégémonie culturelle française » (p. 27), thèse longuement développée dans Pamela ou les vertus du roman.
Cela pose dès lors le problème de sa traduction en français, question à laquelle est consacrée la deuxième partie de l’introduction. Shelly Charles interroge et élucide les différentes attributions qui ont été faites de cette traduction, de Prévost – après sa mort – à Aubert de La Chesnaye Desbois, mais également à Jean-Baptiste de Fréval ou à un certain Jean-Pierre Bernard. Elle opte finalement pour l’hypothèse de deux traducteurs à partir d’une étude du texte qui laisse apparaître des problèmes d’unification de la traduction. Avec Pamela,il s’agit de traduire un texte au style nouveau, très réaliste et naturel, sans l’adapter au style français à outrance, c’est-à-dire sans en faire une belle infidèle. Le texte choisi pour fonder la traduction est celui de la deuxième édition de Pamela datant de février 1741, largement amendée dans le sens d’un rehaussement du niveau de langue de la narratrice, travail de correction poursuivi par le(s) traducteur(s). Shelly Charles décrit les difficultés de traduction, entre anglicismes, répétitions, polysémies, mais surtout en raison de l’écriture instantanée de Pamela, qui pose des problèmes de temps et se traduit par un usage propre de la ponctuation. Shelly Charles tient à préciser que, contrairement à ce que l’on a pu croire, cette traduction est la seule et unique produite à l’époque, publiée à Londres en 1741, et elle retrace les trajectoires des deux autres éditions qui reprennent cette traduction, y compris les erreurs qu’elles ajoutent au texte au gré des corrections successives.
L’introduction se termine sur une présentation de l’édition que nous avons entre les mains. Le choix s’est porté sur la première édition londonienne, la plus fiable dès lors que le travail successif des autres éditions, française et hollandaise, a été effectué sans consultation de l’original. Ce faisant, précise Shelly Charles, le texte que nous lisons n’est pas celui dans lequel la France a découvert Pamela – l’édition hollandaise –, mais celui qui, philologiquement, est le plus fidèle, puisque Richardson a supervisé cette traduction, de sorte que « la Pamela française est, à sa manière, un texte original qui correspond à un état non imprimé du texte anglais » (p. 28), que reprendra la sixième édition du texte anglais, définitive. L’orthographe et la typographie ont été modernisées, des unifications ont été effectuées selon des principes énumérés par Shelly Charles. Elle clôt son introduction en soulignant ce qui fait l’intérêt de son édition : la réunion des deux tomes de Pamela I, tandis que le roman a longtemps été amputé de son premier tome. De la sorte, cette nouvelle édition permet de comprendre l’engouement et le débat suscités par Pamela en son temps.
Suit le texte de Pamela, enrichi d’un grand nombre de notes de bas de page, notes aussi bien éditoriales, lexicales, bibliographiques, historiques, de traduction, d’élucidation de références (notamment bibliques et philosophiques) que de commentaire. Cet appareil de notes est d’une richesse infinie, facilitant et approfondissant la lecture. Il condense un certain nombre d’analyses développées dans Pamela ou les Vertus du roman.
Puis viennent trois annexes. Un résumé de l’œuvre très détaillé, qui avait été établi par Richardson ; la reproduction de quatorze illustrations issues de la sixième édition anglaise de 1742, de Hayman et Gravelot ; enfin, « Le roman de Monsieur B. ou “Histoire abrégée de ma passion pour [Pamela], de ses commencements, de ses progrès et des combats que j’eus à soutenir” », issu du tome III de l’édition d’Amsterdam de 1743. Un glossaire extrêmement fouillé, une importante bibliographie et un index des noms propres complètent ce volume.
Cette édition de Pamela vient combler un vide éditorial assez inexplicable, en offrant au public une édition à un prix accessible et dans son intégralité de l’un des romans les plus importants du xviiie siècle anglais. L’impressionnante érudition des notes est un outil extrêmement précieux pour le lecteur, tout comme l’introduction dont nous avons tenté de restituer la richesse. Tout le travail si minutieux et précieux mené dans le deuxième volet du diptyque, Pamela ou les vertus du roman, est ici réexploité en miniature, offrant des pistes qu’approfondit la monographie. Si l’édition du texte seul répondait déjà à un besoin éditorial réel, tout le paratexte établi par Shelly Charles en fait une édition de référence incontournable pour qui veut comprendre l’évolution du genre romanesque aussi bien en Angleterre qu’en Europe.