Philippe Sarrasin Robichaud (éd.), Menuret de Chambaud, Effets de la musique , suivie de Préface d’Étienne Sainte-Marie au Traité sur l’effet de la musique sur le corps humain de Joseph-Louis Roger
Philippe Sarrasin Robichaud (éd.), Menuret de Chambaud, Effets de la musique, suivie de Préface d’Étienne Sainte-Marie au Traité sur l’effet de la musique sur le corps humain de Joseph-Louis Roger, Éditions Manucius, coll. « Écrits sur l’art », 2021, 112 p. ISBN : 978-2-84578-763-6
Très élégant petit volume que cette édition par Philippe Sarrasin Robichaud de deux textes qu’il a eu l’excellente idée de faire résonner, l’article MUSIQUE (EFFETS DE LA), de Menuret de Chambaud, et la préface d’Étienne de Sainte-Marie à sa traduction du Traité sur l’effet de la musique sur le corps humain (1758) de Joseph-Louis Roger. Cette édition très soignée, dans l’esprit du travail critique opéré par l’équipe de l’ENCCRE dont l’auteur est d’ailleurs membre, fait le lien entre un premier ouvrage qu’il avait publié dans les Classiques Garnier en 2017, L’Homme-clavecin, une analogie diderotienne, et sa thèse soutenue en 2023 en Sorbonne, intitulée La promesse d’Orphée. Étude de discours sur les effets moraux de la musique dans la France des Lumières.
Une centaine de pages qui s’ouvrent sur une présentation de la manière dont ces deux médecins, Menuret et Sainte-Marie, conçoivent leur art, sur des fondements empiriques, sensibles et sensuels, dans leur approche d’une médecine qui accorde une place singulière à l’émotion esthétique, en l’occurrence à la musique, susceptible de conserver, soigner, consoler, restaurer l’harmonie de l’âme et du corps. Menuret s’appuie sur l’ouvrage de son ami Roger, ouvrage en latin dont il est donné ici la préface d’Etienne de Sainte-Marie à la traduction qu’il publie en 1803. Le Traité sur l’effet de la musique sur le corps humain s’inscrit dans les recherches sur l’acoustique qui sont faites au milieu du 18e siècle. Il suppose cet effet lié aux vibrations sonores qui ébranlent les objets, des cordes aux vitraux des églises, et certainement les fibres du corps sensible. Mais l’explication physico-mathématique n’est pas ce qui domine le discours de Sainte-Marie comme celui de Menuret attentifs à une expérience sonore profonde, intime du pouvoir de la musique « sur les cœurs », dans les termes de Rousseau dans son Essai sur l’origine des langues, et sur les corps, supposant une continuité entre sensibilité nerveuse et émotions, et un pouvoir des émotions sur la santé organique, voire sur la vie. On se rappellera les observations de Rousseau dans son article du Dictionnaire de musique sur le Ranz des vaches et sa puissance nostalgique ; mais s’il suggérait ce pouvoir de la musique, ce n’était certes pas dans l’optique thérapeutique de Menuret ou Roger. Comment frayer un chemin vers la saisie d’une expérience sensible de la musique qui est l’objet des débats du temps sur la musique française et la musique italienne, qui sera expérimentée par Mesmer recourant à l’harmonica de verre de Franklin précisément pour disposer ses patients au soin (dont Menuret finira par se tenir à distance) en tentant d’en déterminer sinon les causes, du moins d’en observer les effets spécifiquement thérapeutiques ? C’est l’objet de ces deux textes, qui s’avèrent complémentaires. Menuret fait état de multiples observations, et puise aussi bien dans la tradition hippocratique que dans l’anthropologie moderne (si l’on peut dire, voir l’article TARENTULE de Jaucourt, Enc. XV). Il ne s’agit pas d’un discours de la preuve, mais d’un appel à une sensibilité qui suppose l’adhésion et la croyance. La réflexion sur les effets merveilleux de la musique, « activité vitale », promeut une hygiène de vie avant toute chose selon Sainte-Marie, et un usage réparateur, pédagogique (la musique « prépare l’esprit à l’étude des mathématiques », préface de Sainte-Marie), thérapeutique (qui concerne aussi bien troubles psychiques, blessures, maladies infectieuses, la mélancolie comme la peste) et socio-médical, dont la portée morale, dans tous les sens du terme, est indéniable pour l’un et l’autre. La musique entretient la joie, le principe vital, « elle promène l’âme dans le pays romantique des illusions » écrit Sainte-Marie en atténuant les souffrances du corps – belle occurrence de l’adjectif, en 1803.
Les deux textes sont très soigneusement annotés, enrichis de nombreuses notes et références qui croisent discours médical et musique. Ils sont suivis d’une bibliographie très complète des œuvres des deux auteurs, et plus sélective concernant généralement l’esthétique musicale du 18e siècle, la sensibilité et la médecine.