(dir. S. Albertan-Coppola, N. Brucker, M. Buffat, G. Di Rosa, F. Lotterie, Y. Saïté)

Les 3 et 4 octobre 2019 s’est tenu, à Paris-Diderot, un colloque international à l’initiative de la Société Diderot, l’Université Paris-Diderot, l’Université de Lorraine et l’Université de Picardie, consacré à la Religion et au Religieux chez Diderot. Ce titre général a permis d’accueillir de nombreuses contributions dont les domaines touchaient à la Philosophie, l’Histoire, l’Art Dramatique, la Peinture ou même l’Art Culinaire.

La présentation du colloque par Florence Lotterie (Université Paris 7-Denis Diderot), Marc Buffat (Université Paris 7-Denis Diderot) et Geneviève Di Rosa (ESPE de Paris) permet d’éclaircir la genèse de ce projet et de préciser que ce champ de la recherche diderotienne n’a été que très légèrement étudié. Ce colloque permet donc un panorama, certes non exhaustif mais en tous cas varié, de la Religion et du Religieux dans l’œuvre de Diderot, qu’elle soit esthétique, politique, philosophique ou encyclopédique.

Première journée

Le matin, Gerhardt Stenger (Université de Nantes) propose 4 arguments contre « le prétendu déisme du jeune Diderot », sillonnant dans les pas du Sceptique et une traduction de Shaftesbury que Diderot aurait trahie, étant athée dès 1746. Claire Fauvergue (Collège International de Philosophie) démontre que Diderot a effectué un travail de comparaison entre différentes pratiques religieuses et philosophiques, créant ainsi une « Histoire des Philosophies et [une] histoire des religions » à l’aide des « vestiges de ressemblances ». Gilles Gourbin (Université de Lorraine) examine les « Discours [du] Philosophe » face à certaines figures de pouvoir, dont celle de Catherine II. Il met en lumière la stratégie d’appauvrissement (et donc d’affaiblissement) du clergé, à défaut d’élimination radicale de celui-ci, imaginée par Diderot. 

L’après-midi, Paul Pelckmans (Université d’Anvers) cherche à montrer la sympathie de Diderot pour certaines activités religieuses grâce aux « entours catholiques des Lettres à Sophie Volland ». Selon ses résultats, Diderot était « fort à son aise dans l’habitus catholique parisien ». Nermin Vučelj (Université de Niš) discute des réserves de Diderot à l’égard de l’affaire Calas et revient sur la thèse de Daniel Mornet en proposant une étude de la correspondance de Diderot « sur la pratique religieuse, la politique de l’Église et la morale Chrétienne ». Odile Richard-Pauchet (Université de Limoges) dresse une galerie de portraits des « frères, moines et abbés, et autres ecclésiastiques dans la correspondance et les romans de Diderot ». Elle revient aussi sur le motif, récurrent dans ce corpus, du « fiacre », toujours accidenté ou occupé par un « moine patibulaire », dont la figure pourrait illustrer l’ancien traumatisme religieux vécu par Diderot au moment de son mariage. Laurence Mall (Université de Floride) examine « le physique de l’emploi du divin ou du dévot dans Les Salons de Diderot » et montre que, selon lui, il s’agit bien de « l’échec incarné », étant donné le caractère blasphématoire des peintures religieuses évoquées. Jean-Christophe Abramovici (Sorbonne-Université) travaille « le religieux en art » chez Diderot et appuie l’idée selon laquelle la nature hostile de Diderot à l’égard de la peinture religieuse est tout de même interrompue par « quelques coups de cloches ». Virginie Yvernault (Université de Picardie) propose une analyse du « théâtre de Diderot » comme le « séjour sacré de l’enthousiasme ». Elle montre la religiosité des pièces écrites par le philosophe dont les tableaux sont évocateurs de différents paradigmes, comme celui du sacrifice.

Seconde journée

La matinée s’ouvre sur des sujets polémiques. Huguette Krief (Université de Provence) considère le cas de saint Augustin, référence majeure des théologiens et apologistes chrétiens, et montre que Diderot, en exposant le ridicule de sa doctrine à travers une critique qui s’attache exclusivement à la rhétorique, ruine l’autorité de ce Père de l’Eglise et sape les fondements de la foi chrétienne. Alain Sandrier (Université de Caen) propose un « Supplément au voyage de Diderot au pays des miracles » en forme de « complément d’enquête », notamment dans les Salons, et montre que le vrai miracle de la peinture tient en ce qu’elle efface le côté spectaculaire de l’événement pour recentrer l’attention sur la contradiction divine. Matteo Marcheschi (Université Paris-Nanterre) étudie, sur le fond de la querelle qui opposa Diderot au jésuite Berthier, la place de l’information culinaire dans l’Encyclopédie. L’art « d’arranger les boucles » et « la façon de mettre les artichauts à la poivrade », sous l’apparente légèreté du propos, recèlent des questions de fond, à la fois morales et épistémiques. Dans une session suivante, Geneviève Di Rosa (ESPE de Paris) met à jour l’intertexte biblique dans les Lettres à Sophie Volland, à partir de quoi elle envisage la manière dont Diderot conçoit la Bible et la façon dont il faut la lire. Jan Starczewski (Allegheny College) choisit, quant à lui, un autre corpus, Le Neveu de Rameau, où il trouve des échos bibliques parallèlement à la sécularisation des éléments de la culture judéo-chrétienne. L’Ecclésiaste a communiqué l’ambivalence de sa morale au personnage du Neveu, et Job est mis au service d’une relecture parodique du sage biblique.

Durant l’après-midi, écourtée du fait de deux défections, Caroline Jacot-Grapa (Université de Lille) analyse, dans les Essais sur la peinture de 1765, la manière dont Diderot explore la positivité de la culture religieuse, imaginant en creux une autre histoire de la peinture, et renvoyant dos à dos anathème et dévotion. Brigitte Weltman-Aron (University of Southern California) s’intéresse à la consolation chez Diderot, notamment à partir d’une lecture de l’Entretien d’un philosophe avec la Maréchale et de l’article « Consolation », afin de montrer que sa position est en la matière plus nuancée qu’il n’y paraît : la consolation, qui sous l’aspect de la postérité touche aussi l’athée, est en accord avec la pensée morale de Diderot.

Les conclusions, données conjointement par Sylviane Albertan-Coppola (Université de Picardie) et Nicolas Brucker (Université de Lorraine), soulignent la diversité des approches, reflet des multiples facettes de l’écrivain, et le dynamisme de la pensée, qui sous l’image du balancement ou de l’oscillation, se manifeste dans l’interaction verbale. Si détestée soit-elle, la religion exerce son empire et sa fascination ; sous l’habit, anthropologique, du religieux, elle excite l’esprit, inspire l’enthousiasme, communique le mouvement.

Amandine Lacaze

Programme