(dir. O. Richard-Pauchet et G. Stenger)

À une époque où les repères et les valeurs qui sous-tendent une société foisonnent sans pour autant faire sens, il était intéressant de réinterroger la pensée d’un philosophe matérialiste et athée comme Diderot (1713-1784), déjà invité à Cerisy en 1983, pour y chercher des réponses aux grandes questions que l’individu continue de se poser : existe-t-il une morale athée ? Comment faire évoluer nos comportements face aux grands défis contemporains, ceux de la politique, de l’argent, de la sexualité, de l’éducation, tout en restant fidèles aux valeurs humanistes ?

On a vu tout au long de cette « décade » que le parcours de Diderot n’était pas linéaire : après avoir aspiré à un athéisme vertueux, puis tenté de raisonner en termes d’intention en substituant aux vices et aux vertus l’idée de bienfaisance et de malfaisance, lui-même fait l’expérience d’un système insatisfaisant reposant toujours sur l’utopie ou l’aporie. La morale individuelle se dissout dans des lois humaines imparfaites que la justice est amenée sans cesse à perfectionner. Aussi vaut-il mieux parler de « morales » à construire ensemble, préliminaires à ces lois, que d’une morale normative, bonne une fois pour toutes et sous tous les cieux : morale du couple, morale de l’écrivain, morale du comédien, morale du politique…

Les différents intervenants du colloque ont exploré cette utopie que le philosophe a caressé au théâtre, dans ses lettres et dans ses fictions, rêvant d’une « morale en action » que l’on pourrait appeler aujourd’hui « participative » et que le spectateur ou lecteur construit au fur et à mesure, à l’aide de son esprit critique. Les spectacles donnés et discutés chaque soir à Cerisy ont permis d’expérimenter ensemble ce dispositif : ainsi Diderot en prison (texte de Gerhardt Stenger joué par la Compagnie nantaise L’Entracte), Les Deux amis de Bourbonne (conte musical dit par Anouchka Vasak-Chauvet et Bertrand Chauvet), l’Entretien d’un philosophe avec la Maréchale de ***, et les Lettres à Sophie Volland lues par Françoise Thyrion et Michel Valmer et présentées au public dans une édition fraîchement réimprimée1. De même, une journée d’excursions à la recherche des traces de Diderot dans le pays manchois a fait toucher du doigt la « durabilité » des écrits du philosophe (à travers des artisanats locaux décrits dans l’Encyclopédie, comme FONDERIES DE CLOCHES, ou PÊCHERIES…) des abbayes où l’on vivait comme dans La Religieuse, le Musée de Barbey d’Aurevilly qui a écrit un Contre Diderot, le tableau de Vernet au Musée des Beaux-Arts de Coutances, évoqué dans ses Salons…). Un moment fort du colloque a montré la persistance des Lumières auprès du public : ce furent les retrouvailles enthousiastes des excursionnistes avec l’exemplaire en parfait état de l’Encyclopédie conservé au « salon de boiseries » de Cerisy, restituant à la fois l’esprit de curiosité scientifique et celui de sociabilité présent dans les salons du XVIIIe siècle, ainsi que cette convivialité intemporelle qui continue de fertiliser les esprits et fait la magie du lieu.

Les organisateurs, Odile Richard-Pauchet, Gerhardt Stenger

→ Programme et résumé du colloque

  1. Diderot, Lettres à Sophie Volland (1759-1774), éd. Marc Buffat et Odile Richard-Pauchet, Paris, éd. Non-Lieu, 2010, 715 p. (nouvelle éd. 2020).